Quels sont les enjeux du futur gouvernement guatémaltèque pour les femmes ?  

— Ester Pinheiro, chargée de la communication au sein d’Equal Measures 2030  

Les gouvernements d’Amérique centrale n’ont pas été les premiers à promouvoir des changements de politique institutionnelle pour lutter contre les inégalités de genre. L’une des principales raisons est l’absence de représentation politique des femmes dans certains pays de la région et de partis progressistes non associés à la corruption qui fassent avancer l’agenda des droits. Le Guatemala a élu son président l’année dernière, mais que propose ce gouvernement pour les femmes et les filles ?   

Les élections présidentielles de 2023 au Guatemala visaient à mettre en place un gouvernement différent, en mesure de changer la réalité de la kleptocratie et de la violence étouffant les femmes et les filles. Bernardo Arévalo, du parti social-démocrate progressiste Mouvement Semilla, a réussi à obtenir suffisamment de voix pour concourir à la présidence du pays face à Sandra Torres, de l’Unidad Nacional de la Esperanza (Union nationale de l’espérance), et ainsi poursuivre sa route vers le second tour du 20 août, en l’emportant avec plus de 60 % des presque 4 millions de voix électorales.   

Plus de femmes en politique, est-ce la solution ?   

La proportion de sièges occupés par des femmes dans les parlements nationaux d’Amérique latine est considérée comme « très faible », selon l’indice du genre des ODD 2022. Le Guatemala obtient 21 points de moins que la moyenne déjà très basse de la région. Mais le fait d’être une femme ne fait pas nécessairement de vous une candidate progressiste, comme c’est le cas de Sandra Torres au Guatemala, explique Marisa Miodosky, consultante principale pour l’Amérique latine chez Equal Measures 2030.   

La présence de ces femmes avec un agenda réactionnaire ne garantit pas la lutte et la protection des droits pour l’égalité de genre et l’autonomie des femmes. De nombreuses femmes qui accèdent à des postes de pouvoir en représentant des partis de droite ou d’extrême droite souscrivent à un discours antiféministe et anti-droit concernant l’avortement, l’immigration et les LGBT. Il s’agit d’une réalité mondiale, avec des exemples tels que Nikki Haley, candidate potentielle à la présidence, représentante républicaine aux États-Unis ; Marine le Pen en France ; Giorgia Meloni, première ministre italienne et Keiko Fujimori dans sa course à la présidence au Pérou. Au Royaume-Uni, certaines des politiques anti-immigration les plus agressives ont été exprimées par des femmes de couleur telles que Priti Patel, Suella Braverman et Kemi Badenoch, une femme noire qui s’est qualifiée de guerrière culturelle anti-woke

En Argentine, le gouvernement Milei récemment élu, qui compte ⅓ de femmes dans son cabinet, n’a pas hésité à démanteler le ministère de la Femme, du Genre et de la Diversité, et à envoyer au congrès un recueil de lois visant à modifier les règles de la coexistence en Argentine, avec notamment de graves répercussions sur le système de soins et la parité électorale. « Alors que certains de ses législateurs sont opposés aux lois qui préviennent et punissent différents types de violence tels que le harcèlement de rue », explique Marisa.  

En revanche, un gouvernement fait par et pour des femmes diverses et permettant leur élection démocratique est nécessaire. Ce n’est pas ce qu’a vécu la candidate Maya Mam Thelma Cabrera, dont les connaissances se situent dans le contexte indigène. Elle et son ancien procureur en charge des droits humains, Jordán Rodas, qui se présentaient avec le Movimiento para la Liberación de los Pueblos (MLP – Mouvement de libération des peuples), un parti indigène doté d’une importante structure départementale, n’ont pas pu participer. 

« Thelma est une dirigeante communautaire qui a acquis beaucoup d’influence de manière collective, et pas seulement de manière personnelle et égocentrique comme d’autres », déclare Ángela Chiquin Chitay, une jeune indigène guatémaltèque fondatrice de l’organisation Kemok. Selon elle, Thelma a su gérer ses ressources en ne bénéficiant pas des mêmes privilèges que les autres. « Elle n’était pas autoproclamée ; ce sont les députés et les candidats à la mairie ayant un comité enregistré qui l’ont choisie pour participer à ce qui représentait l’outil politique. » 

La corruption et l’agenda des droits humains   

Avec une politique marquée par un « pacte de corruption » (comme on appelle communément au Guatemala l’alliance entre les juges, les membres du Congrès, les hommes d’affaires et différents acteurs qui cooptent et pillent l’État), il est difficile de garantir les droits de la population, en particulier les droits des femmes et des jeunes filles.   

Danessa Luna, activiste guatémaltèque et défenseuse des droits des femmes à Asogen, l’une de nos organisations partenaires, explique que le pacte de corruption a tenté de mettre fin aux avancées en matière de droits des femmes, et surtout de mettre fin au cadre institutionnel pour les femmes qu’il a fallu 30 ans pour mettre en place. Il a ainsi fait reculer des questions importantes telles que la santé et les droits sexuels et génésiques.  

Le Guatemala connaît une crise institutionnelle, avec un positionnement traditionnel-conservateur qui a coopté les institutions, principalement les trois branches du gouvernement (exécutif, législatif et judiciaire) et d’autres institutions autonomes essentielles au fonctionnement de l’État de droit, telles que notamment l’université de San Carlos, le bureau du procureur des droits humains, la Cour constitutionnelle, l’ordre des avocats. 

La kleptocratie de l’État laisse présager des années de pillage du pays, de corruption et d’impunité, ainsi que le trafic de drogue, qui affaiblit également la démocratie, les institutions et les droits des femmes. « Certains hommes politiques sont impliqués dans le trafic de drogue et le contrôle de la drogue qui passe par le Guatemala, et c’est aussi une raison majeure pour laquelle beaucoup d’entre eux veulent que les choses continuent comme avant », explique Danessa. Ce système instaure également un régime de persécution à l’encontre de tout.e étudiant.e, défenseur.euse de l’égalité des sexes, juge, procureur.e ou journaliste qui dénonce les illégalités et la violence basée sur le genre.  

Semilla prendra-t-il le pouvoir au Guatemala ?  

Par crainte de perdre le pouvoir gouvernemental et la gestion fantaisiste du ministère des Finances, le « pacte de corruption » a conduit le système politique guatémaltèque à rejeter la participation d’opposants susceptibles de mettre en péril leurs intérêts et à autoriser la candidature d’autres acteurs politiques faisant l’objet d’accusations sérieuses. 

Ce même pacte a conduit à une tentative de coup d’État au Guatemala en décembre de l’année dernière. Le ministère public du pays a demandé que les résultats des élections soient déclarés nuls et non avenus. Toutefois, le Tribunal suprême électoral a précisé que les élections n’auraient pas lieu une seconde fois. Même l’OEA a condamné la tentative de coup d’État au Guatemala. À l’origine de cela, l’enquête contre le parti vainqueur sur l’affaire « Corruption Semilla », ainsi que de nouvelles demandes de destitution à l’encontre du président élu, Bernardo Arévalo, et des députés du Mouvement Semilla, Ligia Hernández et Samuel Pérez.  

Ils veulent entrer dans l’histoire en affirmant qu’il y a eu fraude, que Semilla est un parti illégalement constitué et que les actions des députés visent à « garantir le vote des citoyens ». Cependant, pour Danessa, il n’y a pas eu de fraude. Selon elle, la population est plus informée et critique à l’égard du flux d’informations. « Ils se sont trompés de génération ». Pour cette cheffe de file en matière du genre, le président élu Bernardo Arévalo, a fait un bon travail avec la population, « surtout un travail de “fourmi” en partageant son approche anti-corruption, anti-impunité qui a laissé la population sans santé, sans éducation, sans sécurité, sans rien ». 

  

Qu’attend-on du gouvernement de Bernardo Arévalo ?   

Les féministes et les organisations de femmes voient le Mouvement Semilla sous un jour positif et avec beaucoup d’espoir.  

Pour les filles et les femmes, nous espérons qu’il viendra un temps où leurs droits seront respectés, qu’il y aura un gouvernement plus équitable qui aura pensé à leurs droits, tels que l’accès à la justice, à l’éducation, à la santé et à d’autres droits spécifiques. Nous espérons qu’il y aura davantage de possibilités de négocier, de dialoguer et d’avoir la possibilité de gouverner ensemble, d’être écoutées et d’être rendues visibles.   

L’avenir du travail est là, et c’est une semaine de quatre jours 

Rédigé par Charlotte Minvielle, responsable du développement des activités 

Le Secrétariat Equal Measures 2030 est une équipe mondiale qui travaille entièrement à distance, et dont les membres sont basés au Canada, en Inde, au Liban, au Royaume-Uni, au Kenya, aux États-Unis, en Afrique du Sud, au Sénégal, en Espagne, en Côte d’Ivoire, en Argentine et au Brésil. Une enquête récente menée auprès des membres de notre équipe a révélé que 100 % des répondant.es étaient satisfait.es de notre politique de la semaine de quatre jours, 86 % d’entre eux se disant extrêmement satisfait.es.  

Dans un monde en mutation rapide, la semaine de travail traditionnelle de cinq jours est de plus en plus remise en question. De nouvelles études et des programmes pilotes annoncent que la semaine de travail de quatre jours change la donne en matière de productivité, de bien-être des employé.es et même, plus globalement, de santé de la société. Equal Measures 2030 fait partie de ce mouvement, et observe les bénéfices d’une semaine de travail plus courte depuis plus d’un an. Dans cet article de blog, nous allons examiner des preuves tangibles et des témoignages de première main qui soulignent pourquoi il est grand temps que la semaine de travail de quatre jours soit généralisée. 

Amélioration de la motivation et du bien-être 

Depuis la mise en place de cette politique, notre équipe s’est sentie plus motivée et plus énergique. Toutes les personnes interrogées ont déclaré que la semaine de travail de quatre jours avait renforcé leur satisfaction au travail. L’une d’entre elles a déclaré : « Je pense que ces nouveaux horaires m’ont permis de passer plus de moments de qualité avec moi-même, ma famille et mes ami.es, et de prendre soin de moi. D’une manière générale, je me sens plus épanouie dans ma vie personnelle et professionnelle. »  

D’après les retours de notre équipe, travailler efficacement pendant ces quatre jours permet de donner le meilleur de soit-même. « C’est bon pour le moral et cela me donne envie de rester plus longtemps au sein de l’organisation. » Les conclusions d’un projet pilote britannique – le plus important au monde – ont fait écho à ces propos : la probabilité qu’un.e employé.e démissionne a chuté de 57 %, ce qui a considérablement amélioré le taux de rétention du personnel. 

Suivre un cours de cuisine, se promener, acheter le journal au lieu de le lire en ligne, faire du bénévolat, aller à un cours de gym ou simplement se reposer, voilà ce que les membres du secrétariat d’Equal Measures 2030 ont fait pendant leur temps libre le vendredi.  

Toutes les personnes interrogées dans le cadre de notre enquête ont déclaré avoir constaté une amélioration de l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Un.e employé.e a déclaré que la semaine de quatre jours lui avait permis de « travailler sur des projets personnels ou de prendre le temps de lire un livre ou de faire quelque chose que j’ aime », tandis qu’un.e autre a déclaré que le programme avait « réduit son niveau de stress et l’avait rendu plus heureux.euse ».  

Augmentation de la productivité   

La semaine de quatre jours n’améliore pas seulement le bien-être, elle peut aussi renforcer la productivité et l’efficacité – ce qui offre un argument convaincant pour les entreprises du secteur privé. Lorsque la société informatique française LDLC a instauré la semaine de 32 heures, elle a vu ses bénéfices augmenter de 40 %. Le chiffre d’affaires annuel est passé de 500 à 700 millions d’euros, tandis que le nombre d’employé.es est resté le même. De plus, l’absentéisme et les accidents du travail ont diminué de 50 %. 

Selon nos employé.es,la semaine de travail réduite les encouraget à optimiser leurs horaires et à mieux organiser leurs tâches. L’un.e des repondant.e  a déclaré : « Le fait de savoir qu’il y a un délai plus court pour accomplir les tâches m’aide à me concentrer davantage. » 

Un impact sociétal plus large  

La semaine de quatre jours présente également des avantages plus larges sur le plan social et environnemental. Si les pays décidaient de mettre en place une semaine de travail de quatre jours au niveau national, cela pourrait avoir un impact significatif pour notre planète. Lors de la pandémie de Covid-19, la baisse de l’activité économique s’est traduite par une réduction significative des émissions de carbone, les émissions quotidiennes mondiales ayant chuté de 17 % en 2020, selon une étude publiée dans Nature.  

Pour l’économiste Aurélie Piet, travailler moins, c’est polluer moins. En effet, cela permet souvent de réduire les déplacements, l’utilisation de l’éclairage des bureaux, des ascenseurs, du chauffage, de la climatisation ou d’équipements à forte consommation d’énergie. Une semaine de 4 jours pourrait réduire l’empreinte carbone du Royaume-Uni de 127 millions de tonnes par an, ce qui équivaut à retirer de la circulation 27 millions de voitures, soit l’ensemble du parc automobile privé britannique, selon une étude de la campagne « The 4 Day Week ». 

Vivre nos valeurs féministes  

À Equal Measures 2030, nous sommes conscient.es que nos vies ne tournent pas uniquement autour de ce que nous faisons professionnellement. Il est précieux d’avoir du temps pour soi et les contributions que nous pouvons apporter à la société en dehors du travail sont tout aussi importantes. Selon notre directrice générale, Alison Holder : « Je suis convaincue depuis longtemps de la valeur de la semaine de travail de quatre jours et, au vu des récentes études pilotes, les preuves sont évidentes. Je suis ravie que nous ayons pu mettre en pratique nos valeurs féministes chez EM2030 en mettant en place des politiques comme celle-ci. » 

Selon Oxfam, les femmes et les jeunes filles assument plus des trois quarts des tâches non rémunérées dans le monde. Notre équipe, composée essentiellement de femmes, nous a expliqué comment la semaine de travail de quatre jours les a aidées à mieux gérer et à faire face à leurs responsabilités familiales. L’une d’entre elles a déclaré que cela lui permettait : « d’organiser mes tâches personnelles et ménagères avant de m’occuper de mes enfants le week-end ». Une autre a expliqué : « Comme j’ai un enfant en situation de handicap, je peux programmer d’autres tâches pour m’en occuper le vendredi. »  

En tant qu’équipe de féministes motivées et passionnées, nous voulons souvent faire plus pour contribuer positivement à la société. Une membre de l’équipe s’est portée « volontaire en tant que jeune créatrice au sein d’un collectif de jeunesse féministe en Inde » le vendredi, tandis qu’une autre a utilisé ce temps pour « prendre part à des activités politiques qui correspondent à [ses] valeurs en matière de féminisme, d’environnement et de justice sociale ». 

En outre, nos employé.es ont constaté que cela leur permettait de développer de nouvelles compétences qu’ils et elles n’auraient peut-être pas pu acquérir autrement : « J’ai l’impression que mon travail est un endroit qui me permet de vivre d’autres aspects de ma vie de manière plus complète. Certaines des choses que nous faisons le vendredi peuvent contribuer de manière positive à ce que nous sommes en tant qu’employé.es et membres de l’équipe. » 

 

Retour d’expérience pour la mise en œuvre 

Il n’est donc peut-être pas surprenant que 100 % des personnes interrogées dans le cadre de notre enquête recommanderaient « sans aucun doute » à d’autres organisations d’adopter la semaine de 32 heures et quatre jours. Voici quelques-unes de nos réflexions et suggestions sur la manière de faire fonctionner ce processus dans votre organisation : 

  • Réduisez le temps de travail à 32 heures par semaine et assurez-vous que ce que vous proposez ne revient pas simplement à compresser ces horaires sur quatre jours. Et bien sûr, garantissez qu’il n’y aura pas de perte de salaire pour votre personnel dans le cadre du processus.  
  • Choisissez une journée pendant laquelle tous les membres de l’organisation ne travaillent pas, si votre type d’organisation ou d’entreprise le permet. Nous avons décidé de faire du vendredi un jour chômé pour tout le monde. C’était la solution la plus logique pour nous d’un point de vue logistique et nous pensions également que cela réduisait la pression exercée sur les employé.es à travailler  ce jour-là. Comme l’a dit l’une de nos employées, « il est beaucoup plus agréable de savoir que toute l’équipe est en congé le vendredi ».  
  • Prenez le temps d’échanger correctement avec vos employé.es sur ces changements. Une employée recommande « beaucoup de communication pendant le processus de mise en œuvre et des lignes directrices claires pour éviter une surcharge de travail ».  
  • Soyez prêt.es à expliquer votre décision à l’extérieur de l’organisation. Il se peut que vous soyez convaincu.e, mais que vous craigniez la réaction des autres parties prenantes. Comme l’a dit l’une des membres de notre personnel : « Le plus grand défi à relever consiste à s’organiser avec les partenaires et les autres entités qui travaillent encore cinq jours par semaine. » Vous devez être prêt.es à expliquer clairement pourquoi vous considérez que c’est la bonne décision pour votre organisation du point de vue de ses activités et de ses valeurs.  

La lutte pour l’obtention du week-end a été l’une des grandes victoires syndicales du siècle dernier ; la campagne en faveur d’une semaine de travail de quatre jours pourrait bien être celle de ce siècle. Les données sont disponibles et les avantages sont évidents : augmentation de la productivité et de la satisfaction au travail, contributions significatives à l’égalité entre les hommes et les femmes et à la durabilité environnementale. Il ne s’agit pas seulement d’un avantage, mais d’un impératif pour toute organisation tournée vers l’avenir.  

À Equal Measures 2030, nous appelons les entreprises et les décideur.euses politiques à faire ce bond en avant. Si vous envisagez de la mettre en place et que vous avez besoin d’informations, nous sommes tout à fait disposé.es à parler de notre démarche et des leçons que nous en avons tirées. L’avenir du travail est là, et c’est la semaine de quatre jours. 
 
 

Pourquoi la crise des soins revêt-elle un aspect féministe ?  

Par Ester Pinheiro, Chargée de communications en espagnol, et Gabrielle Leite, Analyste de données et d’informations sur le genre Equal Measures 2030 

Suite à la pandémie de COVID-19, les services de soins essentiels ont regagné une certaine visibilité dans la société et ont révélé les nombreux rôles indispensables que jouent souvent les femmes, pourtant sans reconnaissance ni rémunération aucune.

Dans le monde, les femmes consacrent 2,8 heures de plus que les hommes aux tâches domestiques et de soins non rémunérées, ce qui se traduit souvent pour elles par ce qu’on appelle la « triple journée de travail ». En plus de leur emploi rémunéré, elles s’occupent des enfants et du foyer, et tout cela a des répercussions sur leur santé physique et mentale, ainsi que sur leur maintien sur le marché du travail.  

Pendant la pandémie de COVID-19, lorsque les écoles, notamment les écoles maternelles, ont fermé, ce sont majoritairement les femmes qui se sont occupées des enfants. En 2020, on estime que plus de deux millions de mères ont cessé de travailler ou ont réduit leur temps de travail de 1,8 point de pourcentage par rapport à 2019, soit une diminution quasiment double par rapport à celle observée chez les hommes.

Presque 60 % des pays n’ont pris aucune mesure pour compenser cette hausse du travail non rémunéré. Par exemple, il n’y a pas  de congés familiaux, de services de garde d’enfants d’urgence ou d’indemnisation du travail de soins   face à la fermeture des écoles. Si la tendance actuelle se poursuit, l’écart concernant le temps dédié aux soins non rémunérés entre les hommes et les femmes  devrait légèrement s’amenuiser. Cependant en 2050, les femmes dans le monde continueront de vouer aux tâches domestiques et aux soins non rémunérées en moyenne 2,3 heures de plus par jour que les hommes.  

Les disparités s’accentuent, non seulement en matière  d’égalité entre hommes et femmes, mais aussi dans d’autres domaines tels que l’origine ethnique, la classe sociale et la race. Ainsi, les femmes des milieux ruraux et les femmes indigènes consacrent au travail des soins jusqu’à huit heures de plus par semaine que les femmes du reste de la population, comme c’est notamment le cas au Mexique.

Sur les 6,3 millions de travailleurs·euses domestiques au Brésil, 84 % sont noirs·es, 95 % sont des femmes et plus de 50 % des foyers gérés par des travailleurs·euses domestiques sont pauvres. En Amérique latine et  dans les Caraïbes, les femmes ayant des bas salaires consacrent en moyenne 46 heures par semaine au travail non rémunéré, contre 33 heures pour les femmes ayant des salaires plus élevés.  

Une feuille de route pour l’action 

Pour Milena Páramo, coordinatrice régionale de CLADEM en Amérique latine, la crise des soins s’est peu à peu imposée comme une question centrale de l’agenda féministe régional et des États de la région, comme en témoigne l’Engagement de Buenos Aires (2022) adopté par la XVe Conférence régionale sur les femmes. 

“ L’Engagement de Buenos Aires reconnait le soin comme un droit des personnes à soigner, a être soignées, et à se soigner elles-mêmes et propose aux États de conclure des accords dans des domaines spécifiques afin de progresser vers une société de soins, en s’attaquant à la division sociale du travail et à la promotion des organisations sociales de soin”, explique Milena. 

Pour les féministes d’Amérique latine, l’engagement de Buenos Aires est une importante feuille de route “en renforçant l’engagement des parties à évoluer vers une société plus juste, équitable et en nous poussant à réflechir non seulement à un nouveau modèle de développement, mais aussi à un nouveau modèle de société.” 

En outre, il est désormais reconnu que le travail des soins est essentiel aux avancées vers la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Corriger ces déséquilibres de genre en lien avec la répartition des tâches de soins permettra non seulement de progresser vers l’égalité de genre et, par conséquent,  vers la réalisation de l’ODD n° 5, mais cela contribuera également à la réalisation des ODD n° 1 (Pas de pauvreté), d   n°3 (Bonne santé et bien-être), n° 4 (Éducation de qualité), n° 8 (Travail décent et croissance économique) et n° 10 (Inégalités réduites). 


Ces billets de blog, rédigés par Equal Measures 2030 en collaboration avec d’autres organisations féministes, visent à l’occasion de la première Journée internationale des soins et de l’assistance organisée par l’ONU, à sensibiliser, à souligner l’importance du travail et de l’économie des soins, et à insister sur les besoins croissants en termes de données précises et inclusives. Lire les autres blogs de la série :

Reconnaître l’économie des soins non rémunéré pour un avenir égalitaire 
La nécessité d’un programme de données sur le genre qui mesure correctement les soins 

La clé de la reprise économique de l’Afrique ? Alternatives féministes panafricaines.   

Par Nadia Ahidjo, responsable des programmes et partenariats pour l’Afrique et Esme Abbott, coordinatrice des communications 

Les femmes africaines doivent se positionner au centre de la croissance et des politiques économiques afin de garantir que la reprise économique de l’Afrique soit juste et durable. Cela doit s’articuler au-delà du domaine de l’optique et exige des engagements significatifs en matière de décision, de discussions, et de la mise en œuvre de ces politiques.  

Sur certains aspects, en particulier autour du leadership politique des femmes, les données de l’Indice du Genre dans les ODD 2022 d’EM2030 révèlent que des pays comme l’Afrique du Sud, le Rwanda, le Mozambique et l’Éthiopie affichent une plus grande représentation des femmes dans le cadre des postes de hauts responsables gouvernementaux et ministériels que des pays comme le Danemark et la Norvège, qui sont pourtant souvent présentés comme des phares de l’égalité de genre.   

Des progrès significatifs ont également été réalisés dans l’ensemble du continent en termes d’utilisation des services bancaires numériques et d’accès à Internet par les femmes (principaux indicateurs de genre de l’ODD 9 – Innovation). Au Kenya, en Afrique du Sud et au Zimbabwe, les femmes sont plus susceptibles d’avoir utilisé des services bancaires numériques au cours de la dernière année que les femmes en Argentine, en Indonésie ou au Mexique. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, bien que ces avancées soient relatives en termes de changements significatifs dans les moyens de subsistance des femmes.   

La pauvreté demeure un autre obstacle sous-jacent à travers l’Afrique. Elle s’est intensifiée sous la pression de la pandémie, qui a effacé plus de quatre décennies de progrès à l’échelle mondiale selon le Rapport des Nations Unies sur les objectifs de développement durable. Pourtant, même avant la pandémie, près de 70 % des femmes dans l’ensemble de l’Afrique exprimaient des inquiétudes quant au revenu de leur ménage et à la question de savoir si ce revenu était suffisant pour répondre aux besoins de leur famille – un nombre inquiétant qui était déjà en augmentation entre 2015 et 2020. 

Les mesures d’austérité sont devenues l’option « privilégiée » en temps de crise, en dépit du fait que les propres recherches du Fonds monétaire international (FMI) révèlent que les mesures d’austérité augmentent la pauvreté et les inégalités. Les femmes sont surreprésentées dans le secteur public, dans le secteur informel et dans le secteur des soins domestiques, tous étant menacés par des mesures d’austérité. Pour de nombreux pays à faible revenu ou en crise économique, l’austérité n’est pas une question de choix, mais une obligation pour avoir accès aux subventions et aux prêts.   

Selon une étude menée par Oxfam, 76 des 91 prêts du FMI négociés avec 81 pays depuis le début de la pandémie poussent à des réductions des services publics (même au sein des systèmes de santé, qui sont vitaux pendant une crise sanitaire). Éviter de mettre en place des mesures d’austérité permettra aux pays africains de remettre en question le patriarcat ainsi que les pratiques néocoloniales qui ont étouffé le développement économique.   

Les pays africains ne pourront pas se redresser complètement tant que ces défis ne seront pas placés au cœur des politiques économiques et des plans de croissance. Pour ce faire, nous devons appliquer une perspective féministe panafricaine1 et intersectionnelle à toutes les politiques. Nous devons veiller à ce qu’elles résistent aux valeurs économiques néolibérales et patriarcales, et à ce qu’elles reconnaissent les intersections complexes entre identité, race, classe, genre et culture. Sans comprendre comment les inégalités se combinent et s’accumulent, il est difficile d’identifier les problèmes ou les solutions, et les politiques ne parviendront pas à fournir la croissance durable nécessaire.   

L’absence de données ventilées en temps opportun conduit à des politiques qui ne sont ni intersectionnelles ni inclusives. Celles-ci ne parviendront non seulement pas à atteindre ceux qui en ont le plus besoin, mais nous n’obtiendrons pas non plus les preuves nécessaires pour signaler leur échec. Treize pays africains n’ont pas été inclus dans l’Indice du Genre dans les ODD 2022 d’EM2030 en raison d’un manque de données sur le genre.   
  
Des écarts majeurs continuent d’exister autour des soins non rémunérés, du travail domestique et de l’écart salarial entre les genres — domaines dans lesquels il existe de fortes inégalités de genre. Ces écarts rendent plus difficile l’identification des besoins des personnes les plus touchées, et se traduisent par un manque de responsabilisation, notamment au niveau des politiques économiques qui deviennent facilement inefficaces, ou pire, abusives. Au lieu de réduire les budgets, il conviendrait d’investir les fonds dans les services publics et les infrastructures publiques, et de les gérer de manière à répondre aux besoins des femmes (grâce à la collecte de données sur les femmes).    

Plusieurs pays africains ont inscrit dans leur législation de solides quotas de parité de genre. Il n’existe toutefois aucune obligation de rendre des comptes à cet égard ou de les mettre en œuvre. Il ne suffit pas que les sièges soient ouverts aux femmes tant que le système est encore dominé par une culture patriarcale qui, historiquement, a œuvré pour, voire profité de leur exclusion.  

FEMNET a clairement exigé des politiques gouvernementales qu’elles reconnaissent les discriminations croisées et remettent en question les systèmes oppressifs comme le patriarcat, le capitalisme et le néo-colonialisme.  

En adoptant une perspective féministe panafricaine, nous plaçons les filles et les femmes africaines au centre des politiques et commençons à défier ces systèmes en remettant en question les dynamiques de pouvoir et les privilèges qu’elles accordent. Nous soulevons des questions sur le contrôle des biens et des ressources, sur les normes et les valeurs culturelles, ainsi que sur le pouvoir.   

La dénonciation des idées néocoloniales qui perpétuent les inégalités et la focalisation sur les femmes et les filles africaines mèneront à une reprise qui n’est pas seulement pleine, mais équitable et durable : des caractéristiques importantes dans un monde qui est sur le point de subir de nouveaux chocs.   


1. Nous entendons ceci comme défini par le Forum féministe africain, qui place les structures et les systèmes patriarcaux de relations sociales intégrés dans d’autres les structures d’oppression et d’exploitation au centre de notre analyse. 

*Veuillez noter que cet article a été rédigé à l’origine en anglais et que, par conséquent, certains des liens renvoient à des articles rédigés en anglais.