Changer les récits : comment des données inclusives de qualité peuvent réduire les inégalités pour les femmes noires  

Rédigé par Ester Pinheiro, chargée de communication – espagnol, Equal Measures 2030 en conversation avec les PDG de Data for Black Lives, Yeshimabeit Milner et DataedX, Brandeis Marshal  

La sous-représentation et la mauvaise représentation des femmes noires dans les données sont un problème alarmant. La stigmatisation des données, associée à la rareté de leur représentation, efface les perspectives et les expériences des femmes noires et risque de perpétuer et d’exacerber les inégalités, les préjugés et la polarisation existants. 

Selon un document sur la perception des femmes noires par le public, rédigé par la Northwestern University et l’IPR, les jeunes filles noires aux États-Unis souffrent d’un phénomène « d’adultisation ». Elles sont considérées comme plus dangereuses et sexuellement plus conscientes, ce qui influence les perceptions selon lesquelles elles méritent des peines plus sévères que leurs pairs. Comme l’indique l’article, « ces résultats ont des implications importantes pour comprendre le rôle potentiel du grand public dans l’élaboration des expériences punitives des jeunes filles noires et soulèvent des questions sur les conséquences de leur punition pour la démocratie. » 

Yeshimabeit Milner, PDG de Data for Black Lives, souligne que les femmes noires sont représentées de manière disproportionnée, en particulier dans les données relatives à la justice pénale, en raison de représentations historiques erronées : « Nous avons été bombardés de représentations et de stéréotypes historiquement négatifs des femmes noires. Ces récits et programmes médiatiques ont été façonnés par des données erronées ou fausses et ne font que renforcer les politiques qui rendent les femmes noires encore plus vulnérables. » 

L’un des mythes les plus répandus dont souffrent les femmes noires est celui des bébés du crack. Milner souligne que « dans les années 80, on pensait qu’il y avait toutes ces femmes noires qui prenaient du crack et qui donnaient naissance à des bébés qui allaient devenir une menace pour la société. Or, 20 à 30 ans plus tard, ce sont ces bébés qui sont allés à l’université. L’issue d’un ‘mauvais enfant’ ne dépend pas de la consommation de crack par sa mère, mais de la pauvreté et du manque d’accès aux ressources, telles que l’éducation ou les soins de santé. »   

Les données sont essentielles pour démystifier les préjugés raciaux  

Lorsqu’il s’agit de l’industrie technologique et de ses produits, les femmes noires et les autres minorités sont sous-représentées. Pour renverser cette tendance et accroître la représentation, nous avons besoin de politiques efficaces. Nous avons besoin de politiques fondées sur des données de qualité, dont l’impact est mesuré à l’aide de perspectives critiques en matière de race et de genre.  

« L’utilisation de données sur l’état, l’utilisation et les inégalités dont sont victimes les communautés historiquement exclues, comme les Noirs, fournit un contexte historique, culturel et politique qui renseigne sur les lacunes des politiques existantes. Les données peuvent être utilisées soit pour nous aider à remédier à ces oublis intentionnels de notre passé, soit pour étendre l’oppression. Les données nous permettent de savoir si nous progressons ou si nous régressons dans l’élaboration de nos politiques technologiques », déclare Brandeis Marshall, fondatrice et directrice générale du groupe DataedX.  

Les efforts de collaboration de DataedX ont décelé des disparités raciales et de genre dans les domaines de données, fournissant des preuves quantitatives pour des aperçus qualitatifs. Conscient de ces disparités, le groupe a formulé plusieurs recommandations visant à garantir que les domaines de données ne laissent pas les minorités de côté. Ces recommandations ont été reprises dans le projet de déclaration des droits de l’IA publié par la Maison Blanche en octobre 2022.  

De surcroît, Data for Black Lives considère les données comme un outil permettant de dénoncer et de demander de la redevabilité. Comme l’affirme Milner, « les données sont une action collective qui permet d’avoir en partie des contre-récits et d’inverser des décennies de politiques, de programmes et de règles non écrites que les femmes noires suivent de la part de ceux qui dirigent la société et la scène du pouvoir. »  

Il ne s’agit pas seulement de données ventilées : les algorithmes racistes  

Si des données ventilées diverses et représentatives sont essentielles pour éviter la perpétuation des préjugés, nous devons également prêter attention aux algorithmes et à leur pouvoir dans la prise de décision. Comme le souligne la directrice générale de Data for Black Lives, « il s’agit de savoir quels et comment sont ces modèles, comment les systèmes de données d’aujourd’hui catégorisent-ils. » Tout d’abord, comment les algorithmes reconnaissent-ils et sont-ils capables de détecter la race et le sexe d’une personne ? Et une fois qu’ils disposent de ces informations, comment les algorithmes classent-ils les personnes en fonction, une fois de plus, des schémas historiques de discrimination ?  

Mme Milner donne un exemple qu’elle a partagée à la Maison Blanche et au Congrès américain concernant l’intelligence artificielle et les droits civils. Elle espère détrôner la note de crédit du modèle FICO en tant qu’indicateur prédominant du risque en termes de prêt. « C’est l’algorithme le plus puissant dans notre pays car plus de 90% de la population est notée par celui-ci avant de louer. »  

« À beaucoup d’entre nous, en particulier aux femmes noires, on nous dit que “ la raison pour laquelle notre cote de crédit est basse est parce que nous n’avons pas effectué nos paiements, ou à cause de ceci ou de tous ces facteurs (…) ”, mais nous ne pouvons jamais savoir quels sont les vrais facteurs, parce qu’il s’agit d’un algorithme propriétaire appartenant à une société privée. »  

Parmi les mères noires aux États-Unis, plus de 4 sur 5 (3 millions sur 3,7 millions de femmes, soit 81,1 %) sont des soutiens de famille et sont chargées d’assurer la prochaine génération de leur famille. « Beaucoup d’entre nous ont pour mission de prendre soin de toute notre famille élargie, et nous devrions avoir le droit de bénéficier d’un crédit et de ne pas avoir à payer plus pour les mêmes produits, qu’il s’agisse d’une assurance automobile, d’un prêt immobilier ou de soins médicaux – cela fait vraiment la différence. » 

D’autre part, selon certains algorithmes comme le système de notation FICO, du fait d’être noires et d’être femmes, elles sont automatiquement considérées comme moins méritantes. « Bien qu’’il soit illégal aux États-Unis de refuser un logement à quelqu’un en raison de sa race ou de son sexe, il n’est pas possible de poursuivre un algorithme en justice. »  

Pour Mme Milner, c’est la raison pour laquelle il est important de disposer de données ventilées, afin de pénétrer sous le capot de certains de ces algorithmes très puissants et de comprendre comment ils catégorisent et détectent la race et le sexe d’une personne.  

En ce qui concerne l’avenir, Brandeis Marshal dévoile l’espoir qu’elle nourrit pour les prochaines années en matière de gouvernance des données et de défense des droits. « À l’avenir, une législation sur la gouvernance des données et de l’IA sera créée, probablement sous la pression du peuple. Les gouvernements fédéraux et l’État étendront légèrement celle-ci, la codifieront dans la loi et développeront des protocoles d’application. L’accent a été mis sur la réglementation des Big Tech ces dernières années, mais je pense que la gouvernance progressive des données et de l’IA que nous verrons émanera d’abord des petites entreprises. »  

Equal Measures 2030 lance une bourse de journalisme de données en Amérique latine  

L’initiative de partenariat Equal Measures 2030, qui rassemble des leaders mondiaux issus de réseaux féministes, de la société civile, du développement international et du secteur privé, lance un appel à candidatures pour la “ Bourse EM2030 pour les journalistes de données”, avec le soutien de Salesforce au moyen de son logiciel Tableau. La bourse aidera 8 journalistes et activistes de données, qui s’identifient comme des femmes, en Colombie et au Guatemala à acquérir des compétences et de l’expérience pour raconter des histoires s’appuyant sur des données pouvant générer un plaidoyer significatif pour l’égalité de genre. 

Outre une formation approfondie à l’utilisation des données, cette opportunité comprend une licence gratuite de deux ans du logiciel Tableau, une assistance continue, l’accès aux données de l’indice de genre dans les ODD d’EM2030 et une subvention de 1 500 USD pour soutenir leur travail sur un projet de journalisme de données.  

S’appuyant sur l’expérience précédente de la Bourse de données au Kenya et en Inde, Albert Motivans, responsable des données et des intrants d’EM2030, commente la façon dont les boursières ont créé un produit de journalisme de données efficace. « Nous avons eu 16 journalistes de données extraordinaires de l’Inde et du Kenya qui ont présenté des histoires nationales convaincantes en tissant des données dans une structure solide, permettant à l’histoire de se dérouler de façon transparente pour révéler le contexte, la question urgente du genre et les actions potentielles. » 

“ L’égalité de genre et les données sont deux impératifs pour la communauté mondiale alors que nous travaillons à la réalisation des objectifs de développement durable. Nous devons comprendre où se situent les lacunes pour savoir où nous devons investir et progresser ensemble.” Ashley Monson, responsable de programme, Salesforce Philanthropy. 

Candidature au programme 

Pour la bourse, les candidates doivent avoir de l’expérience dans le journalisme de données et avoir un exemple d’au moins un article publié en utilisant des techniques de journalisme axées sur les données dans les médias. Plus d’information sur les modalités de candidature et les critères ici.  

Selon Julisa Tambunan, directrice exécutive adjointe et responsable des partenariats et de l’apprentissage à EM2030, « les candidates retenues comprennent le pouvoir des données entre les mains des journalistes et reconnaissent que les médias sont l’un des principaux moteurs du changement. Elles démontrent leur passion et leur engagement à utiliser les données pour atteindre l’égalité de genre. » 

Grâce à cette initiative, EM2030 vise à renforcer la capacité des femmes journalistes et des journalistes issues des minorités de genre à utiliser les données dans leur journalisme et à favoriser un réseau de journalistes passionnées par les questions d’égalité des genres et guidées par les données. EM2030 cherche également à étendre la portée et l’impact du journalisme sur les questions peu couvertes et les communautés historiquement mal desservies, et à améliorer les liens entre les journalistes de données et les activistes mondiaux, nationaux et locaux. 

D’anciennes boursières parlent de leur expérience  

Outre la narration, les techniques de données peuvent contribuer à modifier la manière dont le journalisme est pratiqué, en influençant la production d’informations par le biais de preuves et de la visualisation.  

« Pour que l’information puisse corriger les préjugés et influencer le point de vue d’une personne, elle doit pouvoir rester dans la mémoire des lecteurs. La visualisation des données est puissante parce qu’elle fait appel à notre mémoire visuelle – quand on voit, on se souvient », a déclaré Surbhi Bhatia, ancienne boursière de l’Inde. Pour elle, les données ont la capacité d’organiser et de générer des visualisations de grands volumes d’histoire ou d’informations clés. 

Une autre ancienne boursière, Rosemary Okello-Oriale du Kenya, partage l’idée que cette opportunité l’a aidée à développer sa capacité à raconter des histoires basées sur des données. 

« Les compétences en matière de données et d’analyse de genre acquises grâce au programme de bourses de Tableau et Equal Measures 2030 nous font prendre conscience qu’il existe de meilleures façons d’analyser les données, en particulier lorsqu’il s’agit de questions de genre. La bonne utilisation et la bonne compréhension des données peuvent faire la différence dans la lutte contre les inégalités de genre aux niveaux national, régional et mondial. » 

L’un des principaux enseignements que les boursières ont tirés de ce programme est l’aspect de l’accessibilité, comme le souligne Aarushee Shukla,une ancienne boursière indienne, qui insiste sur la nécessité d’avoir un regard intersectionnel sur les données afin d’éviter les préjugés et de représenter la pluralité de la société dont il est question : « J’ai essayé de saisir l’intersectionnalité en collectant des données démographiques sur chaque participant à l’enquête et en créant des filtres dans Tableau par religion, caste, sexe et revenu du ménage afin de voir les variations. » 

Importance des données pour l’égalité de genre  

Les données ont un rôle puissant et unique à jouer en fournissant des informations normalisées et désagrégées sur la vie des femmes et des filles afin de suivre l’impact réel des mesures politiques nationales et infranationales.  

En renforçant la capacité des femmes journalistes et des journalistes issues des minorités de genre à promouvoir l’utilisation des données dans leurs reportages sur les inégalités de genre, EM2030 pense qu’il est possible de générer un débat sur la question et d’influencer les politiques publiques et la prise de décision.  

Protéger le droit des filles à l’éducation : plaidoyer guidé par les données au Burkina Faso

Le Burkina Faso est confronté à une crise sécuritaire préoccupante, qui ravage le nord et l’est du pays depuis 2015. Les personnes les plus touchées par la violence sont les femmes et les enfants de moins de 15 ans, dont la grande majorité sont des filles. Les filles se retrouvent dans une situation encore plus compliquée du fait de la déstabilisation d’un système de santé déjà fragilisé par la pandémie de COVID-19 qui a frappé le pays pour la première fois en mars 2020.

Les attaques ont forcé des millions de personnes – en particulier des femmes, des filles et des enfants – à fuir leur foyer. L’une des attaques récentes les plus violentes s’est produite dans la nuit du 4 au 5 juin 2021 à Solhan, dans la province de Yagha (nord-est du pays), faisant environ 132 morts selon le gouvernement.  Depuis cette attaque, près de 7 000 personnes auraient fui la région touchée[1].

L’éducation étant désormais une nouvelle cible du terrorisme, un grand nombre de filles prennent du retard dans leur scolarisation lorsqu’un attentat se produit. Début mars 2020, le ministère de l’Éducation, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales (MENAPLN) a signalé que plus de 2 500 écoles avaient été fermées en raison d’attaques ou d’insécurité, avec un impact négatif sur 350 000 élèves. Ces données dissimulent la situation souvent occultée et préoccupante de la scolarisation des filles, celles-ci faisant partie des principales victimes des attentats. Les données recueillies auprès du secrétariat technique pour l’éducation en situation d’urgence montrent que, le 5 février 2021, 2 212 écoles étaient fermées. Ces fermetures ont directement touché 147 577 filles et 12 366 enseignants, dont 4 481 de femmes[2]. Au Burkina Faso, la crise sécuritaire compromet l’accès des filles et des femmes à l’éducation et les expose en même temps à des violences basées sur le genre, telles que le mariage des enfants, les grossesses précoces, les abus sexuels et le viol.

Les solutions pour mettre fin à la déscolarisation des filles et à la spirale de violence à laquelle elles sont exposées passent par un plaidoyer auprès des décideurs politiques. Les organisations de défense des droits des femmes au Burkina Faso mènent des campagnes visant à mettre fin à toutes les formes de violence basée sur le genre, à encourager l’éducation des très jeunes enfants, à développer le leadership et à autonomiser les femmes et les filles. Cependant, elles sont confrontées à de nombreuses difficultés liées au manque de données réelles et tangibles. Grâce à un financement du gouvernement canadien, l’Initiative Pananetugri pour le Bien-être de la Femme (IPBF) et son partenaire, EM2030, répondent à cette préoccupation en mettant en œuvre le projet « Plaidoyer guidé par les données en faveur de l’éducation des filles dans les situations d’urgence en Afrique ».

L’une des activités phares de ce projet est le plaidoyer en collaboration avec le réseau d’associations partenaires de l’IPBF. Ces organisations sont au nombre de 25, réparties dans huit régions du Burkina Faso. Le réseau est composé d’associations, d’ONG et d’organismes publics qui traitent des questions concernant les droits des filles et des femmes, en particulier l’éducation des filles. Elles sont réparties en trois groupes de travail représentant trois régions du Burkina : la Boucle du Mouhoun, le Centre et le Centre-Nord. Des campagnes de plaidoyer basées sur des données et des éléments concluants seront menées dans les trois régions et au niveau central. L’objectif consiste à influencer les personnes chargées de prendre des décisions pour qu’elles fassent une priorité de l’éducation des filles et des femmes en situation de crise et/ou déplacées pour cause d’insécurité. 

Chacun de ces groupes de travail préparera une étude de cas sur des sujets liés à l’éducation des filles dans les situations de crise dans leur région, afin de pouvoir avoir accès à des données concluantes et de produire des éléments de preuve à l’appui de leurs efforts de plaidoyer. Il est également prévu de mener quatre grandes campagnes de plaidoyer dans différentes régions : la première étant la communication par le biais des médias de masse (radio et télévision) ; la deuxième étant des réunions avec les décideurs régionaux du secteur de l’éducation (maires, conseillers municipaux, gouverneurs, directeurs régionaux de l’éducation, présidents des conseils régionaux, directeurs régionaux de l’enseignement préscolaire, primaire et non formelle et directeurs régionaux de l’enseignement post-primaire et de l’enseignement secondaire) ; la troisième étant la participation à des organes de décision tels que des tables rondes régionales et nationales, des réunions du conseil municipal, le bureau du secrétariat permanent du Conseil national pour la promotion du genre (SP CONAP Genre) et la révision des plans de développement régional ; et enfin la quatrième étant une réunion avec le ministre de l’Éducation nationale et de la Promotion des langues nationales.

L’engagement affiché par l’IPBF et ses partenaires représente une lueur d’espoir pour les organisations de défense des droits des filles et des femmes et pour des milliers de jeunes filles et adolescentes touchées par la crise sécuritaire, qui rêvent de poursuivre leur scolarité et d’avoir les mêmes chances de réussite que les autres.


[1]  TV5Info:https://information.tv5monde.com/video/burkina-faso-l-attaque-la-plus-meurtriere-depuis-2015

[2] Source : carte des données commandée par EM2030, avril 2021

Où sont les données « en temps réel » sur l’égalité de genre ?

Par Alison Holder, directrice d’Equal Measures 2030

C’est la première Journée mondiale du factivisme en lien avec les Objectif mondiaux et c’est la chance de célébrer les faits qui nous aident à comprendre l’état de notre monde tel qu’il est aujourd’hui. Dans le droit fil de la mission d’Equal Measures 2030 (EM2030), qui est de mettre les données et les preuves au service du plaidoyer et de l’action en faveur de l’égalité de genre, le factivisme est notre raison d’être.

Un bon factivisme requiert de bonnes données, et en particulier des données actualisées. Les partenaires à l’origine de la journée d’action d’aujourd’hui (notamment TRENDS, GPGDD et Project Everyone) nous ont rappelé un fait important et toujours d’actualité sur l’état de l’égalité de genre, à savoir que les hommes dominent les positions de pouvoir politique puisqu’ils occupent 75 % des sièges parlementaires dans le monde. Ce fait concorde avec les conclusions d’EM2030, découlant en particulier de son Indice du genre dans les ODD : aucun pays n’a encore atteint l’égalité parfaite entre hommes et femmes et la moitié des pays – où vivent 2,1 milliards de femmes et de filles – n’atteindra pas les cibles les plus importantes en matière d’égalité de genre d’ici 2030, si le rythme actuel de progrès ne s’accélère pas.

L’absence de progrès en la matière constitue une menace pour l’ensemble du Programme de développement durable : en effet, 22 % des indicateurs des 17 ODD sont sexospécifiques et si de nombreux autres indicateurs des ODD ne sont pas spécifiques au genre, ils devraient l’être afin de refléter les avancées inégales sur certaines questions clés intéressant les femmes et les filles.

Mais il est particulièrement difficile d’obtenir des données actualisées dans le domaine qui nous occupe. EM2030 le sait mieux que personne. Pour élaborer notre Indice du genre dans les ODD, l’outil le plus complet aujourd’hui disponible pour suivre le thème de l’égalité de genre dans le cadre des ODD, nous avons compilé et passé au peigne fin des sources de données publiées dans le monde entier et concernant tous les secteurs pour prendre le pouls de la situation dans 129 pays, et ce à travers 51 questions afférentes au genre.

Malgré les efforts massifs de compilation des données que nous avons engagés avec notre partenariat mondial intersectoriel, notre indice (comme d’autres) dépend fortement des recensements de population, des enquêtes auprès des ménages et des données administratives. Or, les recensements en général ne sont effectués que tous les dix ans, les enquêtes internationales standardisées auprès des ménages ne sont mises à jour que tous les 3 à 5 ans, et les renseignements administratifs (générés à partir des systèmes d’enregistrement des naissances, ou des registres dans les secteurs de l’éducation et de la santé, par exemple), s’ils sont recueillis en permanence, ne sont compilés et connus que plusieurs années après.

La pandémie de COVID-19 a accru la nécessité de disposer de données sur l’égalité de genre en temps opportun. De nombreuses parties prenantes, dont EM2030 et ses partenaires, notamment la Fondation Bill & Melinda Gates et FEMNET, ont tiré la sonnette d’alarme sur le fait que la pandémie pourrait nous faire reculer de plusieurs décennies. Toutefois, au niveau mondial, il n’existe pas encore de données actualisées pour véritablement appuyer cette affirmation. Mais, ce qui est pire, c’est qu’il existe un risque réel que la crise sanitaire freine le recueil de données opportunes, compte tenu des restrictions budgétaires et des mesures de confinement, compromettant ainsi les efforts en ce sens.

S’il ne fait aucun doute que la pandémie de COVID-19 a exacerbé la pression, le besoin de données plus à jour n’est pas nouveau. Le manque de données actualisées en matière de genre a été soulevé tant par les décideurs⸱ses politiques que par les défenseurs⸱res de l’égalité de genre lors des enquêtes menées auprès des parties prenantes par EM2030 en 2017 et en 2018.

En 2018, nous avons travaillé avec Ipsos pour réaliser un sondage auprès de 625 défenseursres de l’égalité de genre dans le monde entier, et les résultats ont été les suivants : seulement 19 % d’entre eux ont considéré que les données étaient « actualisées » ; 86 % ont qualifié les données de « plutôt » ou « la plupart du temps » incomplètes ;  et 9 sur 10 ont attribué les lacunes en matière de données aux gouvernements qui n’accordent aucune priorité à la collecte de données sur les questions touchant les femmes et les filles.

Les décideurs⸱ses politiques ont d’ailleurs exprimé des préoccupations similaires s’agissant des délais dans la mise à jour de ce type de données. En 2017, EM2030 et Ipsos avaient procédé à une enquête auprès de 109 décideurs⸱ses dans cinq pays (Indonésie, Inde, Kenya, Sénégal et Colombie). Interrogés sur la « qualité » des données sexospécifiques dans leur pays, les deux tiers se sont dits insatisfaits de la ponctualité des données :

À l’occasion de la première Journée mondiale du factivisme en faveur des Objectifs mondiaux, nous devons célébrer le pouvoir des faits pour capter l’attention, dénoncer les injustices et inciter à la redevabilité. Mais nous devons également reconnaître que, lorsque l’on parle d’égalité de genre, il est difficile de trouver des données à jour. Ces lacunes doivent être comblées, en particulier par des investissements dans les systèmes nationaux de statistiques, couvrant tous les secteurs de manière systémique. Data2X estime que le déficit de financement des systèmes de données sur les questions de genre dans les pays à faible revenu se situe entre 170 et 240 millions de dollars US par an. Dans le contexte de la pandémie, nous devons également prioriser le suivi en temps réel des questions critiques qui, nous le savons, subissent le contrecoup rapide des crises – liées notamment aux niveaux de revenu, à l’accès à l’éducation et aux services de santé, à la violence fondée sur le genre et à la charge de travail non rémunéré que supportent les femmes et les filles. Nous savons que les revers subis dans les progrès accomplis en matière d’égalité de genre menacent l’ensemble du Programme à l’horizon 2030. Or, nous « naviguons à l’aveugle », car nous ne disposons pas de données suffisantes pour comprendre l’impact mondial, en temps réel, des crises telles celle que nous traversons sur les femmes et les filles. Nous savons que même avant cette crise sanitaire, plus d’un tiers des pays de la planète n’avaient fait que des progrès lents – voire dans la mauvaise direction – sur plusieurs paramètres clés de l’égalité de genre. Pour que les « factivistes » disposent de ce dont ils ont besoin pour assurer un rythme adéquat de progrès vers l’égalité de genre, il faut pouvoir répondre à leurs demandes de données, de manière plus ponctuelle et systématique.